Le legs: l'hommage de Günther Anders à Walter Benjamin
17 décembre 2017
Il y a 25 ans jour pour jour, le 17 décembre 1992, s'est éteint à Vienne, à l’âge de 90 ans, l’un des penseurs germanophones les plus percutants du XXe siècle: Günther Anders, alias Günther Siegmund Stern, le premier mari de Hannah Arendt. Son œuvre complexe et tout à fait marginale, voire méconnue, élaborée volontairement à l’écart de l'institution universitaire et en majeure partie en exil en France, aux Etats-Unis puis en Autriche, jette un regard froid et lucide sur notre époque.
En guise d'hommage je traduis ici pour la première fois en français son propre hommage à la mémoire de son cousin Walter Benjamin, publié en exil américain, sous forme de poème, dans la revue new-yorkaise germanophone Aufbau le 18 octobre 1940, soit trois semaines après le suicide de Benjamin à Portbou dans les circonstances dramatiques que l’on sait:
Le legs
Or, ce n’est pas qu’à eux, aux
meurtriers, que bénéficie la force de
nos amis assassinés. Mais à nous aussi, aux
survivants fortuitement encore en vie.
La salle des morts se remplit effroyablement. (Personne
n’a franchi la porte de par lui-même. Ils sont tous
poussés par-delà le seuil.) Toutefois, en
nous, qui sommes à présent clairsemés et tous les jours
davantage clairsemés, s’agrège toujours plus densément le
legs des morts.
Personne ne peut prédire qui,
toi ou moi, sera le prochain à disparaître. Mais
quelques-uns vont rester, quelques-uns
vont quand même fortuitement rester.
Peu importe qui.
Et avec eux le legs.
Günther Anders
Revue Aufbau, 18 octobre 1940, p. 7.